Le plan d’austérité détaillé par Manuel Valls aura achevé de démontrer au moins une chose : la Grèce n’est qu’un terrain d’essai dans le projet insensé de libéralisation totale que l’oligarchie veut imposer à l’Europe, consistant à terme à mettre le marché du travail européen aux normes chinoises. Dernier îlot de résistance, le modèle social français hérité de l’après-guerre garantissant une protection sociale minimale, des retraites et des salaires décents est amené à disparaître. Les économies exigées de la France par la Commission Européenne, qui l’a placée sous surveillance renforcée en mars dernier en raison du niveau de sa dette et de son coût du travail jugé "trop élevé", auront des effets dévastateurs en condamnant à la précarité à vie des millions de personnes. Mais cette gigantesque casse sociale a une visée plus immédiate : préparer la France à la compétition du grand marché transatlantique dont le lancement est prévu en 2015.
Les plans d’austérité se succèdent en Europe et les cibles restent invariablement les mêmes : les salaires, les retraites et la protection sociale. Celui annoncé par Manuel Valls ne fait pas exception : gel des prestations sociales jusqu’en octobre 2015, report de la revalorisation du RSA, gel du point d’indice des fonctionnaires jusqu’en 2017. La protection sociale concentre à elle seule près de la moitié des économies (21 milliards, dont 10 prévues sur les dépenses de santé). Autrement dit, prendre (beaucoup) à ceux qui ont un peu (les classes moyennes) pour donner un peu à ceux qui n’ont rien ou presque (les classes populaires) et beaucoup à ceux qui ont beaucoup (le grand patronat qui verra dans le même temps ses cotisations allégées d’autant grâce au pacte de responsabilité)… Les seuls vrais bénéficiaires de cette politique de rapine restent les multinationales : la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (coût : 6 milliards d’euros de manque à gagner) ne concerne que les entreprises dont le chiffre d’affaire dépasse les 760.000 euros, la baisse de l’impôt sur les sociétés (même coût) est réservé à celles qui gagnent plus de 250 millions d’euros annuels.
La violence de la politique qui s’annonce a suscité des réserves jusque dans le propre camp du Premier Ministre. Le grand écart entre les promesses du candidat Hollande et la politique réellement menée a en effet de quoi laisser perplexe. Cependant cette nouvelle cure d’austérité est largement dictée par les contraintes de l’appartenance à l’Union Européenne, le gouvernement étant réduit une nouvelle fois au rôle d’exécuteur des basses œuvres de la finance mondialisée. Des millions de Français vont subir un effondrement de leur niveau de vie, conséquence de la servilité du gouvernement à l’égard l’Union européenne et de son souhait de servir l’oligarchie plutôt que de défendre l’intérêt général. Dans ce contexte, choisir au poste de Premier Ministre un homme qui se place en héritier de Georges Clemenceau – celui qui a fait envoyer la troupe contre les mineurs en grève de Courrière – apparaît comme un signe évident de bonne volonté…
Mais ce nouveau coup porté aux salariés et aux retraités n’est qu’une étape dans le long processus de démantèlement auquel nous condamne la politique austéritaire de l’UE, et la prochaine risque d’être plus douloureuse encore avec la mise en place programmée de l’Accord de Partenariat Transatlantique, elle-même simple étape vers un gouvernement mondial. Négocié en secret, le grand marché transatlantique dérégulé sans droits de douane et sans barrières à la circulation des capitaux et des marchandises fonctionnera sur la primauté du droit américain et consacrera la suprématie des intérêts du marché sur le droit des États nationaux (les multinationales pourront ainsi attaquer en justice tout État qui aurait des lois trop contraignantes en matière de droit du travail, de la santé ou de l’environnement). La construction d’un bloc euro-atlantique unifiéaura pour finalité de renforcer l’hégémonie militaire, politique et économique des États-Unis. Le mensonge de l’indépendance européenne vis-à-vis des USA prétendument conquise grâce à l’euro aura vécue…
Privatisations dans tous les domaines, y compris ceux jusque-là relativement épargnés comme l’environnement, libre-échange globalisé, liquidation des droits sociaux et de la démocratie,… les peuples n’ont plus que le choix de rompre avec le bloc impérialiste européen qui les condamne à une misère sans fin. Le cauchemar de l’Europe Unifiée dessine en creux la seule voie praticable : recouvrer une souveraineté monétaire en abandonnant la monnaie unique, une souveraineté politique en quittant l’UE, une souveraineté commerciale en rétablissant les droits de douane et une souveraineté économique en abrogeant la loi de Pompidou-Rotschild 1973 qui oblige l’État français à emprunter sur les marchés privés, entièrement à l’origine de la dette actuelle.

Nicolas Bourgoin

Nicolas Bourgoin, né à Paris, est démographe, docteur de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales et enseignant-chercheur. Il est l’auteur de trois ouvrages : La révolution sécuritaire (1976-2012) aux Éditions Champ Social (2013), Le suicide en prison (Paris, L’Harmattan, 1994) et Les chiffres du crime. Statistiques criminelles et contrôle social (Paris, L’Harmattan, 2008).