05/03/2014 - 10h50
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© Shanybelviso
Marseillais débarqué à Paris au début des années 2000 avec son baluchon, Yannick Bouquard a expérimenté la galère du mal-logement pendant 8 longues années. Une expérience qu’il a choisi de partager sous la forme d’un roman, sobrement intitulé Squat, publié par les éditions du Rouergue. Rencontre.
Le squat est une pratique de survie encore trop répandue dans nos grandes villes, comme en milieu rural. Si de nombreux documentaires ont tenté d’appréhender le sujet, rares sont les romans à avoir osé l’affronter. Squat, c’est le titre tout simple d’un livre à la fois tendre et dur, drôle et tristement réaliste. L’histoire vécue par son narrateur de huit années de squat, entre péripéties administratives, coups de gueule, soirées mémorables et galères presque trop dures pour être racontées. Un petit roman court, sans concession, absolument pas complaisant, sur un sujet très difficile à appréhender et dans lequel on apprend beaucoup.
Fluctuat : Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer de la part d’un auteur qui a vécu la situation décrite dans son livre,Squatn’a rien d’une apologie de la vie précaire en communauté dans un lieu initialement inoccupé. Tu as choisi d’être au plus près de la réalité, sans parti pris...
Yannick Bouquard : Je voulais absolument m'éloigner du folklore libertaire. En tant que folklore, il est inapte à traduire une réalité. Évidemment, je ne peux que formuler - via la narration - celle que j'ai vécue. Le sujet des squats est, comme tant d'autres, traité de manière binaire. Pour les uns, il faut dénoncer une illégalité, un regroupement de branleurs supposés ; pour les autres c'est "cool, fun, militant, pour la cause". Aucun de ces deux poncifs vociférés n'est honnête. Comment un contexte, un ensemble de situations, pourrait-il mériter une apologie, c'est à dire un mensonge consensuel ? Je n'avais aucunement l'intention de "vendre" les squats. Ils n'ont de valeur à mes yeux que précisément parce qu'ils sont refusés, marginaux. Je file aux lecteurs des instants, des polaroids, dans l'espoir de provoquer le questionnement, pas des affirmations brutales. La réalité ne peut pas être binaire.
Tu as choisi la forme du roman, pas de l’essai. Pourquoi ?
D'abord, parce que je suis convaincu par la puissance de la narration pour véhiculer des idées, des interrogations. Ensuite, le décor s'y prête. Il me semble que seul le roman peut traduire l'intensité de ce mode de vie, ses beautés, ses laideurs, les éventuelles poésies qui s'en dégagent. L'essai me parait trop sec, trop froid, dans ce cas là. Il y a une volonté de raconter, de romancer, de lier forme et fond (via le style, le langage notamment et le découpage). La forme s'est tranquillement imposée. Il en fallait une qui laisse la possibilité de raconter milles anecdotes ; une forme hachurée dans laquelle le temps pouvait se diluer ou se contracter au rythme absurde du squat. Le roman me permettait aussi d'insister sur les personnages qui, au-delà du "teusqua", sont le cœur du machin-chose. Et bien sûr de faire travailler la partie imaginative de mon cervelet.
Tes personnages sont hauts en couleurs et souvent atypiques, on pouvait s’y attendre, mais là encore on est loin des clichés habituellement véhiculés... je pense en particulier à ton personnage, "Cheval".
Oui. Cette question en appelle encore une fois au folklore, aux idéologies (c'est à dire les moyens les moins pragmatiques pour essayer de résoudre un problème), mais aussi aux différents "types" de squats, aux échouages individuels, aux nécessités, voire aux envies de chacun. Ce qui m’intéresse c'est l'individu. Je trouve toujours détestables les assemblées de prêcheurs, quelque soit leur bord politique. Voilà pourquoi, j'ai opposé deux personnages anars très différents. L'un mélancolique, romantique peut être, consistant, et l'autre fade, sclérosé, militant. Le clone qui déblatère son catéchisme tout en invoquant, sans rougir, une liberté de pensée est un archétype méprisable. Ce n'est pas évident sur un tel sujet de proposer un éloignement des clichés. Particulièrement, lorsque militants et politiques sont devenus de véritables stéréotypes.
Cheval, c'est du pain béni. C'est tout à la fois la pratique, la créativité, la liberté totale qui ne saurait être stoppée par je ne sais quelle morale. Difficile de contrôler l’ébullition véritable d'un personnage, d'un individu, en lui récitant des slogans. Il faut être ontologiquement fainéant pour apprécier cela ou je ne sais pas, relever du gastéropode plus que de l'humain, n'avoir aucune curiosité. Ce personnage n'est pas à contre courant, il navigue, peinard, en fonction des vents et n'a besoin d'aucun oukase pour piloter son rafiot.
J'ai essayé de traiter mes personnages, très inspirés, avec autant de dureté que de douceur et de montrer, qu'après tout, ils ne se comportent pas si différemment de tout un chacun. Peut-être sont-ils juste un peu plus capables de créer des situations poétiques, tangibles ou palpitantes.
Tu insistes dés le début sur le fait que vous n’êtes pas des assistés. C’est important ça, le minimum d’indépendance revendiquée par un squatteur ?
J'insiste pour démolir ce préjugé qui veut que si tu es en difficulté tu es forcément un spoliateur. C'est récurrent lorsque tu habites en squat. Il est souvent accompagné du "voleur, toxico, marginal, malade mental". Typiquement de droite même si on croit entendre une rhétorique raëlienne. Tu me diras, pour la gauche, si tu as du pognon tu es aussi un spoliateur. Quand je parlais du mode de pensée... Réellement, une importante partie des squatteurs que j'ai connu, condamné à la marginalité comme volontaire dans l'autonomie ne grattaient ni RSA, ni chômage, ni aides d'aucune sorte.
Concrètement, combien de temps as-tu passé en squat ?
Trop. Huit ans. Mais si c'était à refaire, je re-signerai. L'intensité du bordel perpétuel me manque, parfois.
Ce mode de vie est encore bien ancré dans la capitale et ses alentours ?
Oui. Mais soyons clair, il faut préciser "mode de vie". Est-ce une forme moderne de "piratage" ou simplement l'application d'un communautarisme ou encore le prétexte à des revendications floues ? Il faut prendre la définition la plus basse et englobante : le besoin d'espace. C'est à dire de logements prioritairement, puis de lieux de travail pour les artistes en manque de mètre-carrés, avec pour variable le temps d'occupation. Il n'est pas nécessaire de se mettre hors-la-loi (c'est discutable), de prendre des risques (relatifs), pour apprécier la vie communautaire ou "lutter" pour le droit aux logements.
Ce mode de vie ne peut pas véritablement être mis en danger. Cela arrange tout les protagonistes. Une relative tolérance évite d'avoir des affamés, des mal logés, devant les grilles du Palais Bourbon. Ça la fout mal au 20 heures. Cela permet à l'un d'agiter l'épouvantail de l'insécurité, de l'assistanat et fournit à l'autre un faire-valoir humaniste, une raison à sa "lutte". Mais, techniquement, un homme, une femme ne se laisse pas crever, dans le chaud ou dans le froid, la gueule ouverte, le code pénal sur les genoux avec pour tout marque-page la déclaration des droits de l'homme ou le titre de propriété d'un immeuble vacant appartenant à une banque renflouée par le contribuable. Le principal danger pour les squats est la pénétration de militants de partis étatiques dans le processus. Dès lors qu'il y a tentative de récupération, il y a un véritable danger de la perte d'autonomie et d'une sorte d'authenticité nécessaire aux feux follets artistiques ou expérimentaux. Toutefois, on peut difficilement se passer du rapport au politique qui peut être bénéfique. On entre dans les municipales et la fin de la trêve hivernale, si tu aimes l'architecture, c'est le moment de regarder les châteaux espagnols se bâtir.
Au delà de la Capitale et surtout de la banlieue, il y a des squats partout en France, explosifs, créatifs, Marseille, Lyon, Dijon, Rennes, même à Gap, etc. Et en Europe évidemment.
Le squat de la Miroiterie, Paris 20e (voir notre diaporama sur les squats parisiens)
Il existe déjà quelques livres sur le sujet. De photos le plus souvent. Les romans sont rares. Comment t’es venue l’idée d’un livre, et qui plus est d’un roman sur le sujet ?
Mon éditrice, Sylvie Gracia, et moi avons été surpris que le nom ne fût pas déjà pris. Je ne me suis pas spécialement penché sur la question des bouquins existants. Je préférai me renseigner sur ce que je ne voyais pas quotidiennement. Pour limiter le parasitage, l'influence lors de l'écriture également. Je crois que Lola Lafon a écrit sur le sujet, sur les toto, entre autre chose ; à vérifier, je ne l'ai pas encore lu. Il y a aussi quelques références chez les ricains, en SF, bizarrement. L'idée m'est venue clairement en regardant mes camarades de cinquante balais sans travail ni grand chose d'autre qu'une bouteille de rouge qui tache à la main, dès 10 heures du matin ; en regardant la mienne, de vinasse ; en lisant des "études", des thèses, des articles bien-pensant où, à s'y méprendre, le squat décrit pouvait être situé à Saint-Germain-des-Près et servir d'annexe au service culturel de la mairie de Paris. Cela menait au constat que le potentiel individuel artistique, humain de certains de mes compagnons, était gâché, écrasé par le groupe ou dilué dans le whisky.
Es-tu toujours en contact avec les personnages (les gens) que tu côtoyais à l’époque ?
Oui, toujours. Ce sont des amis, des rudes, sur lesquels je suis sûr de pouvoir compter. Il faut toutefois bien différencier les gens, des personnages. Secret de fabrication oblige, je n'en dirais pas plus.
Le livre comporte aussi une dimension documentaire, il y un côté "b.a.-ba du Squat"...
La dimension documentaire me paraissait inévitable. Notamment pour la crédibilité de l'histoire. Je n'innove pas vraiment, les documents sont disponibles, en libre accès et ceux qui les ont rédigés ont fait du très bon boulot. Expérimentation et stratégie. Outre la crédibilité de l'histoire, c'est aussi la présentation d'un système chronophage. La tenue du squat, réelle comme judiciaire, prend énormément de temps. Elle est partie intégrante de ce que tu appelais le mode de vie. Il faut connaître comment cela doit se passer pour s'organiser en conséquence. J'entends, une organisation collective et personnelle. De sorte que la narration ne peut qu'en être affectée. Ou pire, que l'organisation ne dirige la narration ou ne la digère.
Bien évidemment, j'ai choisi de ne pas tout dire, pas certain de pouvoir le faire et de me concentrer sur la friction individu/groupe.
Que conseillerais-tu rapidement, aux personnes débarquant dans une grande ville et se trouvant dans l’obligation (ou choisissant) de vivre comme ça ?
Je conseille premièrement aux personnes de ne pas débarquer dans des grandes villes.
Je conseille, ensuite, à une personne isolée qui voudrait ouvrir un squat de consulter rapidement un psychiatre.
Plus sérieusement, c'est un milieu assez opaque, vernaculaire, mais cela n'est pas sensé arrêter le nécessiteux. Le conseil le plus général ? Entrer dans un squat, expliquer sa situation, tout simplement, se laisser aiguiller, montrer qu'accompagnant le besoin, il y a une envie de mettre la main à la patte, humainement, artistiquement, être prêt à rejoindre une équipe pour ouvrir un bâtiment, etc...
Je parle ici des personnes isolées qui n'ont jamais ouvert une porte ouverte...
Pour les équipes nouvelles et constituées : renseignements, méthode, discipline, volonté.
Les plus expérimentés n'ont certainement pas besoin de mes conseils, ils ont assurément l’œil où il faut et la main dextre.
Quoiqu'il en soit et quoi qu'annonce un gouvernement, une autorité, un maire ou etc. il faut bien se convaincre qu'il est hors de question de dormir sur le palier d'un bâtiment vide. Et des bâtiments vides, il y en a partout.
Pour celui qui choisit... Il faut que je me modère-là ! Une envie de bohème ne me parait pas suffisante pour revendiquer une piaule qui pourrait servir à qui en a besoin. On peut l'enrober de romantisme pseudo-révolutionnaire ou libertaire, d'une brusque indignité (encore faut-il en avoir, de la dignité), que ça ne me paraîtrait toujours pas suffisant. C'est un avis purement personnel et généraliste, je ne mets pas en doute les qualités de chacun, son besoin affectif d'une vie qu'il imagine différente ou la teneur de son endoctrinement.
Je lui conseille, tant qu'il le peut, de louer tout en restant en activité dans le milieux des squats, avec les keums de Médecins du Monde ou dans des structures comme la ressourcerie de la P'tite Roquette par exemple, etc.. La survie d'un squat est au de-là d'un simple logement. Il y a tant de possibilités et les plumards sont si peu nombreux que la justification par une lubie post-adolescente est vraiment légère. Particulièrement lorsque leur énergie, extérieure aux lieux, est tout aussi vitale pour sa pérennité.
Conseil de stratégie générale : soyez mobiles, agiles, rapides, fuyants et puissants.
Avec le recul comment penses-tu à cette période de ta vie ?
Avec fierté et mélancolie. Une période douloureuse et gaie, intense, paradoxale, brûlante, tangible, dure, réelle.
Yannick Bouquard – Squat, le 5 mars aux editions La Brume du Rouergue
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