La justice, la prison, sa marche depuis Rome... L'ex-trader de la Société Générale se confie. Interview.
La cour de cassation a annulé votre condamnation à verser 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la Société Générale. Votre réaction ?
- La décision de la Cour de cassation est la consécration de ce que nous disons dans le désert inlassablement. Je n'ai pas fait perdre cet argent à cette banque qui ment au vu et au su de la France entière. J'ai vécu un cauchemar absolu qui se terminera dès lors que les mesures d'expertise montreront que je n'ai jamais menti à la Justice qui s'est laissé aveugler par le blabla de la Société Générale et de ses avocats dont le système de fonctionnement est l'insulte. Ce sont les inventions et la communication de la Société Générale qui sont aujourd’hui rabattues. Je vais peut-être être enfin traité comme un justiciable normal maintenant.
Avez-vous éprouvé du soulagement ?
- Un soulagement immense, évidemment. Le prochain procès ne pourra pas se faire sans une expertise judiciaire. Je n'ai plus le même avocat que précédemment et David Koubbi fera tout ce qu'il peut pour obtenir ce que je demande depuis l'origine, c'est-à-dire des experts indépendants qui feront la lumière sur les mensonges grossiers de cette banque.
Votre peine de prison a été confirmée. Redoutez-vous d’y retourner ?
- Oui bien sûr. Je n'ai jamais commis d'infraction, je suis condamné à cinq années de prison dont trois fermes. Je représente un danger pour qui ? J'ai tué qui ? Si la Générale n'avait pas raconté toutes sortes de conneries devant les juges qui écoutaient ça de manière bienveillante comme si la banque était experte en la matière, je n'en serai pas là. La décision de me mettre en prison ou pas dépend du Parquet de Paris et je note que dans certains articles publiés depuis la décision de la Cour de cassation, nos adversaires sont parvenus à inoculer l'idée que mon incarcération serait imminente alors que le parquet n'a pas pris position. C'est ce même parquet qui a mis un temps infini avant de prendre position sur deux plaintes que j’ai déposées contre la générale qui a truqué mes aveux - ce qui est reconnu dans un rapport d'expertise - et qui a aggravé les pertes qu'elle m'attribue en vendant les positions de trois autres traders sans rapport avec mon activité en 2008.
Il serait temps que le parquet cesse d’être l’avocat de la société générale et redevienne l’avocat de la société française pour défendre les Français et non plus les élites.
Je ne demande pas un traitement de faveur, juste que le code pénal s’applique à moi comme aux autres justiciables.
Comment se sont passés vos 41 jours de détention provisoire ?
- Etre incarcéré est horrible. Les gardiens me donnaient des tuyaux sur ce que je pouvais faire ou ne pas faire et me protégeaient beaucoup des photographes qui essayaient de prendre des photos pendant les promenades, du coup, je n'y allais pas. Le pire à l’époque est que je ne comprenais pas ce qui se passait. J'étais devenu le centre d'une affaire démente, la presse me qualifiait de tous les noms en reprenant sans distance la communication dégueulasse de la banque et de ses avocats. Je ne souhaite ça à personne.
Diriez-vous que la cour de cassation a effectué un rééquilibrage en votre faveur, au détriment de la Société Générale ?
- On peut le dire ainsi en effet. Cela fait 6 ans que ce dossier perdure parce que cette somme de 4,9 milliards est agitée telle un chiffon rouge. Cette somme aujourd'hui n'existe plus ce qui signifie que la justice a repris son indépendance.
Comment expliquez-vous que vos arguments n’aient jusque-là pas été entendus, ni par le juge Van Ruymbeke, ni par le tribunal correctionnel, ni par la cour d’appel ?
- Je ne l'explique pas, je le déplore. Un exemple: devant la cour d'appel, la présidente Mireille Filipinni s'est laissé balader par les témoins payés de la Société Générale, lorsque mon avocat faisait noter que la Générale mentait éhontément, elle répondait : "La partie civile au procès a le droit de mentir". Un de mes supérieurs à même répondu qu’il devrait rendre l’argent que la Société Générale lui avait donné pour se taire s'il disait ce qu’il savait. C’est tout simplement de la subornation de témoin et cela ne gêne personne. Comme elle a été juge d'instruction pendant une décennie je crois avant de présider la cour d'appel, nous abordions ce procès de façon confiante, nous avons eu tort.
Qu’attendez-vous des deux plaintes avec constitution de partie civile que vous avez déposée ?
- Dès lors que mes "aveux" enregistrés à mon insu ont été truqués par cette banque, je souhaite que cela soit reconnu et que les investigations aillent au-delà car dès qu'il sera prouvé que la banque connaissait mes activités et qu'elle les encourageait au travers de ma hiérarchie, ce sera la fin de mon calvaire et je pourrais enfin reconstruire ma vie qui est en miettes. La banque joue la défaillance de ses systèmes de contrôle or ils sont excellents, ils préfèrent avoir l'air con que paraître complices. Cette banque est foncièrement malhonnête et prête à tout pour fuir ses responsabilités.
Dans une audition, un salarié de la banque déclare qu’on lui a demandé de supprimer des preuves avant que la police ne vienne perquisitionner. Est-ce là le comportement d’une victime ? Pourquoi le parquet ne se saisit-il pas de ce sujet ? On parle de destruction de preuves, c’est extrêmement grave.
Vos plaintes sont-elles instruites par un juge ?
- Un juge a été nommé, enfin ! Le parquet a pris son temps. Je n'ai pas encore été entendu mais ça sera le cas dès mon retour de marche.
Comment avez-vous vécu ces années, se retrouver ainsi dans la lumière puis dans les rets de la justice ?
- Mal. Vous êtes dépossédé de tout, vous lisez n'importe quoi sur vous. La justice ? Je l'éprouve depuis le 19 mars [date de l’arrêt de la cour de cassation, NDLR]. Avant ça, elle s'est comportée de façon dégoutante. Pour vous donner un exemple, la ministre de la Justice Christiane Taubira a dit des choses en privé non conformes avec le silence qu’elle devrait observer en tant que garde des Sceaux. C’était en juin à Avignon, lors d’une lecture de textes d’Aimé Césaire. A un membre de mon comité de soutien, elle a répondu : "Oh là là… on sait bien que ce dossier, c’est toute une toile". La finance fait peur à nos dirigeants qui se sont littéralement couchés dans cette affaire comme dans d'autres.
Dans un mail qui a été produit à l’audience en appel, nous avons appris que l’ancienne garde des Sceaux, Rachida Dati avait recommandé l’un des avocats de la Société Générale à la direction de Renault dans l’affaire des faux espions à laquelle le groupe a été confronté. C’est cette même garde des Sceaux qui était en poste lorsque le dossier Société Générale a éclaté et que l’on m’a placé en détention provisoire.
Qu’on ne vienne pas me parler d’indépendance de la justice, quels que soient les gouvernements – de droite ou de gauche - les techniques sont les mêmes : petits arrangements entre amis.
De quoi vivez-vous ?
- De très proches amis me prêtent de l'argent, des anonymes aussi. Heureusement que je suis entouré parce que seul, cette épreuve aurait été insurmontable.
Cette affaire vous a-t-elle changé et de quelle manière ?
- Depuis mon voyage à Rome, j’ai le sentiment de me retrouver ; avant cela, j'étais en pilote automatique et mon seul cap était de ne pas flancher.
Je change chaque jour, je revis, je ne suis plus du tout le même homme qu’il y a 6 ans, je ne suis même plus le même qu’il y a un mois.
Pourquoi effectuez-vous ce pèlerinage ?
- Un pèlerinage supposerait de marcher vers un lieu sacré. Je parlerai plutôt de marche, cela me semble plus exact. Je le fais pour me retrouver et décider enfin pour moi-même. Je le fais pour ne pas sombrer face à cette broyeuse dans laquelle la banque m'a jeté pour s'éviter les emmerdements qu'elle mérite. Ma rencontre avec le Saint-Père est fondatrice. J'ai lu dans un journal que nous n'avions pas été invités et que David Koubbi et moi-même nous étions faufilés pour manipuler les images. C’est une honte d’écrire des idioties pareilles. C'est dans la droite ligne de ce qui m'arrive depuis le début. Cette rencontre m'a donné la force d'effectuer cette marche pour, à mon niveau, parler avec les gens que je croise sur la route des abus de la finance dont je viens, que j'ai servie et que je dénonce. Le pape prend des positions très courageuses sur le sujet qui me portent dans cette démarche. Il s'agit aussi de dire à tous ceux qui subissent les banques et le système judiciaire qui déraillent, qu'ils ne sont pas seuls. Pleins de gens me rejoignent et m'écrivent pour m'apporter leur soutien et ces rencontres sont inoubliables.
Propos recueillis par Denis Demonpion
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