vendredi 7 mars 2014
Le jeudi 6 mars, à Rome, lors de la Conférence internationale sur la Libye, le ministre italien des Affaires étrangères a considéré que le principal problème qui se pose dans ce pays meurtri est la « surimposition de légitimités ». Cet euphémisme archétypique du vocabulaire « politiquement correct » sert à cacher la vérité de la situation libyenne qui est tout simplement l’anarchie. Cette manipulation sémantique illustre le désarroi de cette prétendue « communauté internationale » qui, au nom des « droits de l’homme » et de la démocratie postulée universelle, a déstabilisé un pays fragile. Aujourd’hui, elle n’ose même pas employer les mots justes pour décrire les résultats de la calamiteuse guerre qu’elle déclencha sans raison avouable contre le colonel Kadhafi.
Cessons de nous boucher les yeux en rêvant d’élections qui ne régleront pas les problèmes de fond pour regarder la réalité en face : en Libye, la situation devient de plus en plus confuse, de plus en plus anarchique et de moins en moins lisible. Le pays est livré à la loi des milices et les « autorités » ne font même plus de la figuration. Le 10 octobre 2013, le Premier ministre Ali Zeidan au pouvoir depuis novembre 2012, a ainsi été enlevé par des hommes armés. Tout récemment, le dimanche 2 mars 2014, à Tripoli, le Parlement (le CNG : Congrès national général), institution issue des élections de juillet 2012, a été pris d’assaut, en partie incendié et plusieurs députés blessés.
La « démocratisation » de la Libye est donc un tragique échec et la « croisade humanitaire » décidée par la France de Nicolas Sarkozy a débouché sur un désastre. D’autant plus que le rêve démocratique qui fit se pâmer BHL n’est même pas celui des Libyens puisque le 20 février dernier, les élections destinées à élire les 60 membres du conseil chargé de rédiger la nouvelle Constitution n’ont attiré que moins de 15% des électeurs…
Aujourd’hui, le pouvoir central ayant disparu, plusieurs clans régionaux et tribaux se livrent une guerre aussi confuse qu’impitoyable dans une Libye fracturée en trois grands ensembles eux-mêmes subdivisés :
1) Le « Grand Sud » est une zone grise où le « pouvoir » nordiste n’est obéi ni des Touareg à l’Ouest, ni des Toubou au centre et à l’Est ; d’autant plus que ces derniers subissent les raids lancés par des milices arabes. Cette situation de non-droit permet aux islamistes ayant échappé aux forces de l’Opération Serval de bénéficier d’un nouveau sanctuaire.
2) La Cyrénaïque qui est en état de sécession est ensanglantée par les assassinats. Dimanche 2 mars, un ingénieur français y a été abattu et 50 meurtres y ont été commis durant le seul mois de février. La région est également ravagée par la guerre qui oppose les fondamentalistes musulmans dont le fief est la ville de Derna, aux « traditionalistes » rassemblés derrière les confréries soufi. Les ports pétroliers de Ras Lanouf et de Brega sont à l’arrêt en raison des exigences des milices tribales régionales.
3) La Tripolitaine est coupée en trois :
- La ville de Misrata est un Etat dans l’Etat dirigé par des milices gangstéro-islamistes, bras armé du mouvement des Frères musulmans.
-L’ouest de la Tripolitaine est dominé par la milice berbère arabophone de Zentan (Zenten) et par celle, berbérophone, du jebel Nefusa.
- Tripoli, est la « capitale » d’un Etat qui n’existe plus. Impuissant, le «pouvoir central» est condamné à y négocier avec les milices pour tenter de survivre tout en se contentant d’observer leurs affrontements. Le vendredi 15 novembre 2013, les milices de Misrata ont ainsi ouvert le feu sur une foule réclamant leur départ, faisant plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés, ce qui déclencha un affrontement général avec les autres milices.
Conséquence directe de la calamiteuse et incompréhensible guerre que la France de Nicolas Sarkozy mena contre le colonel Kadhafi, l’anarchie libyenne menace gravement la sécurité régionale et c’est pourquoi il est urgent d’y mettre un terme. Les tentatives démocratiques ayant échoué et une opération internationale de pacification n’étant pas à l’ordre du jour, il n’existe donc que deux options, soit la reconstruction d’un Etat fort, soit au contraire la prise en compte des réalités confédérales.
1) La reconstitution d’un Etat fort
Une telle politique peut se faire de deux manières :
- Un retour à la situation antérieure avec l’émergence d’un nouveau « colonel Kadhafi » qui pourrait refaire l’unité du pays ; dans l’immédiat, aucune personnalité ne semble en mesure de jouer ce rôle.
- L’autre moyen de reconstituer l’Etat libyen est la voie religieuse à travers le « coagulant » islamique constitué par les « Frères musulmans».
2) La constitution de deux pôles de stabilité
La reconnaissance officielle de l’éclatement de la Libye aurait l’avantage de circonscrire les luttes de pouvoir au sein de deux régions et donc de limiter l’effet domino régional :
- En Tripolitaine, la coalition des milices berbères arabophones de Zenten, des milices berbérophones du jebel Nefusa, de celles des tribus Warfalla de Tripolitaine et des tribus de la région de Syrte, pourrait déboucher sur une alternative politique nouvelle susceptible de réduire la puissance et la nuisance de Misrata et de ses gangs islamo-mafieux.
- En Cyrénaïque, si les fédéralistes et les courant islamistes traditionalistes étaient aidés, ils pourraient en finir avec les fondamentalistes de Derna.
Cette option « partitionniste » permettrait la naissance de deux entités ancrées sur la géographie et l’histoire qui pourraient éventuellement négocier ultérieurement une forme d’association et auxquelles les tribus du Grand Sud pourraient se rattacher selon leurs affinités.
Ne nous berçons cependant pas d’illusions car cette amorce de solution fondée sur la realpolitik a peu de chances d’être choisie car elle tourne le dos à la bien-pensance démocratique. De plus, comme elle ne peut être réalisée que par le fer et le feu, une telle perspective sera donc insupportable aux sociétés occidentales devenues esclaves de l’émotionnel en raison de leur dévirilisation.
Bernard Lugan
07/03/2014
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