François Asselineau - Union Populaire Républicaine
Il y a un demi-siècle jour pour jour, - le 27 janvier 1964 -, un communiqué officiel extrêmement bref était publié simultanément à Paris et à Pékin et faisait instantanément le tour du monde. Ce communiqué était le suivant :
« Le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire de Chine ont décidé, d'un commun accord, d'établir des relations diplomatiques. Ils sont convenus à cet effet de désigner des ambassadeurs dans un délai de trois mois »
Par cette décision historique, prise par Charles de Gaulle, de reconnaître diplomatiquement la Chine de Mao Zedong, la diplomatie française s'élevait à son firmament et retrouvait d'un seul coup une audience planétaire qu'elle n'avait pas connue depuis 1918.
Sous la IIIe République, à partir des années 1920, puis sous le régime de Vichy, notre diplomatie avait en effet subi un recul quasiment continuel, que le bref passage au pouvoir du Fondateur de la France Libre ( d'août 1944 à janvier 1946) n'avait pas eu le temps de redresser.
Après la Seconde Guerre mondiale, notre diplomatie avait subi un effacement peut-être plus grand encore. Il suffit de rappeler que Robert Schuman - le faux "auteur" de la "Déclaration" du 9 mai 1950 qui lui fut dictée par les Américains - fut 10 fois ministre des affaires étrangères sous la IVe République. Cela permet de comprendre à quel point la France avait sombré dans la plus totale servilité vis-à-vis de Washington. À peu près comme de nos jours, mais en moins grave cependant.
[sur Robert Schuman, cf. http://www.upr.fr/wp-content/
C'est cet avilissement et cet asservissement de notre patrie que Charles de Gaulle trouva lorsqu'il revint au pouvoir en mai 1958, dans le contexte extrêmement dramatique des "événements d'Algérie" qui menaçaient de dégénérer en une guerre civile totale entre Français.
Dans ma conférence "Qui gouverne la France et l'Europe ?" j'ai expliqué de façon assez précise ce que fut l'action diplomatique de Charles de Gaulle après qu'il eût réglé, - tant bien que mal et avec des drames sans nombre - la Guerre et l'indépendance de l'Algérie. Je renvoie ici mes lecteurs à cette conférence qui est en ligne sur notre site à l'adresse https://www.youtube.com/
Pour résumer :
- après avoir réglé la question algérienne par les Accords d'Évian, de Gaulle s'occupa aussitôt - dès le mois de mai 1962 - du traité de Rome, créant la Communauté économique européenne, qui avait été signé le 25 mars 1957 par les responsables de la IVe république finissante. Il comprit très vite qu'il s'agissait d'une opération, aussi intelligente que pernicieuse, de vassalisation américaine pour contraindre les États d'Europe à se placer fatalement sous la tutelle d'un "fédérateur extérieur", lequel ne pouvait être que Washington.
- ayant dénoncé publiquement ce "fédérateur extérieur" et cette manœuvre géostratégique américaine lors de sa conférence de presse du 15 mai 1962, les 4 ministres du MRP (centristes atlantistes et pro-européens) de son gouvernement démissionnèrent sur-le-champ, laissant de Gaulle sans majorité à l'Assemblée nationale.
- forcé de composer avec le MRP pour retrouver une majorité, de Gaulle fut donc contraint à rechercher une alternative. Il se hasarda à imaginer la construction d'une "Autre Europe" - déjà ! - qui ne serait pas inféodée aux États-Unis, mais qui se placerait sous la tutelle de la France. Cette contre-stratégie gaullienne n'était pas stupide mais elle supposait, pour réussir, que la Grande-Bretagne, "cheval de Troie" des intérêts américains, n'entre pas dans la Communauté économique européenne (CEE) et que l'Allemagne accepte de s'éloigner de Washington pour se placer sous la protection, notamment militaire, de la France. C'est la raison pour laquelle de Gaulle proposa et signa, avec le chancelier Adenauer, le traité franco-allemand de l'Élysée le 22 janvier 1963.
- malheureusement, cette tentative échoua du fait des pressions américaines sur les autres pays de la CEE, et tout spécialement sur les Allemands. Dès le 15 juin 1963, les députés allemands au Bundestag, dûment remis au pas par Washington, votèrent un "protocole interprétatif" de ce traité, qui réintroduisait unilatéralement tous les éléments de sujétion aux États-Unis que de Gaulle avait justement écartés : le protocole mentionnait les États-Unis, la communauté de défense atlantiste, la nécessité de faire entrer le Royaume-Uni dans la CEE, la nécessité de négocier des accords de libre-échange dans le cadre du GATT, etc.)
- ayant compris que Washington - avec le plein assentiment des autres États d'Europe - l'empêcherait de mener à bien son projet d'une Autre Europe placée sous influence française, de Gaulle changea alors son fusil d'épaule. Il décida de mener une politique d'alliance de revers, afin de desserrer la domination américaine sur la France. S'inspirant notamment de l'alliance de François Ier avec les princes protestants d'Allemagne et avec le Grand Turc pour desserrer l'encerclement de Charles Quint, de Gaulle décida de se rapprocher des formidables contrepoids à Washington qu'étaient les États d'Amérique latine, et plus encore l'URSS et la Chine Populaire. Dans le même temps, il mûrit son projet de faire sortir la France du commandement militaire intégré de l'OTAN, en attente de pouvoir la faire sortir de l'OTAN tout court, et imposa le droit de veto dans les évolutions fédéralistes de la prétendue « construction européenne ».
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C'est dans ce contexte qu'intervint la décision spectaculaire du 27 janvier 1964.
Et si l'on peut être bien certain qu'aucun dirigeant européiste français ne le rappelle jamais lorsqu'il commémore hypocritement la décision de Charles de Gaulle de reconnaître la Chine maoïste, il importe de ne jamais oublier que cette reconnaissance diplomatique visait d'abord et avant tout à contrecarrer la mainmise des États-Unis et de la prétendue « construction européenne » sur la France.
Pour bien comprendre l'état d'esprit du Fondateur de la Ve République et de ses ministres dans ces moments cruciaux de renaissance d'une France indépendante et souveraine, il est passionnant de lire les passages correspondants des notes prises par Alain Peyrefitte, à l'époque ministre de l'information.
En particulier les passages suivants, qui témoignent de ce que furent les réactions des États-Unis et des États européens à la décision de la France.
- Conseil des ministres du 22 janvier 1964
Couve de Murville : « La discussion avec les Chinois a évolué plus vite que prévu. Depuis huit jours, nous informons de nos intentions nos interlocuteurs : l’Allemagne et les autres pays de la Communauté [économique européenne] ; les États-Unis et la Grande-Bretagne ; l’Afrique du Nord et l’Afrique Noire ; l’URSS, le Japon, l’Inde, le Pakistan. Malgré notre grande discrétion, c’est aussitôt sorti. »
Charles-de-Gaulle : – « J’ai envoyé à Chiang Kaï-Shek un messager personnel, le général Pechkoff, qui avait été mon ambassadeur auprès de lui à Chung King[aujourd'hui translittéré Chongqing] pendant la guerre. »
Couve de Murville : – « Les réactions sont comme on pouvait le prévoir : aux États-Unis, fort défavorables ; tous les autres trouvent naturelle et même une excellente cette décision ; même si, en public, ils regrettent que le moment soit mal choisi. »
Charles-de-Gaulle : – « Quel qu'eût été le moment, on aurait dit : "le moment est mal choisi." »
[...]
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« Le retour éclatant de la France » rend les Américains « hystériques »
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Couve de Murville : – « Notre initiative est un événement très important sur le plan mondial. Elle manifeste les changements profonds intervenus : la réapparition de la Chine, sa rupture avec la Russie, l’élimination des deux blocs idéologiques qui paraissaient s’être partagé le monde. Mais l’événement le plus important, c’est le retour éclatant de la France, d’une grande importance dans le sud-est asiatique. »
Charles-de-Gaulle : – « Les choses sont sur la table. Non de notre fait, mais du fait de ceux que nous avons prévenus et qui se sont hâtés d’en parler. Les réactions suscitées sont passionnelles et même assez hystériques du côté américain. Une fois le fait accompli, il est probable qu’ils jugeront peu à peu qu’il est normal qu’ils en fassent autant. Notre exemple sera suivi. Ça ne changera rien au fait que la Chine communiste est communiste à sa façon. Avant d’être communiste, la Chine est la Chine.
Il n’y a pas de chance que le fait d’avoir une ambassade à Pékin déclenche aussitôt des échanges économiques importants. Les Chinois ne peuvent pas payer. Mais il n’y a pas d’inconvénient à être présent dans la Chine plus tôt que plus tard. Ne serait-ce que pour participer à ce qu’elle fera et sera. »
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Le « comportement de valets » des Européens
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- Après le conseil des ministres :
Alain Peyrefitte : – « Comment jugez-vous la conduite des Cinq Européens ? »
[Rappel : à l'époque, la "construction européenne" en est au stade de la "Communauté Économique Européenne" créée par le traité de Rome signé le 25 mars 1957. Composée de la France, de l'Allemagne de l'Ouest, de l'Italie, des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg, la CEE est fréquemment surnommée "l'Europe des Six". La question posée par Peyrefitte vise donc les réactions de nos cinq partenaires au sein de la CEE de 1964]
Charles-de-Gaulle : – « À voix basse, ils nous disent : "Bravo, comme vous avez raison, nous allons vous imiter des que nous pourrons !" À voix haute, ils proclament : « Quelle erreur ! Ce n’était pas le moment ! C’est un coup de poignard dans le dos des Américains !" C’est typiquement un comportement de valets, qui tremblent de peur à l’idée de contrarier leur maître, mais par en-dessous manifeste leur satisfaction de voir qu’on lui joue un mauvais tour. Des valets ! Ils ne se courbent jamais assez par devant, tout en faisant des grimaces par derrière. Et ils se disent Européens ! Je me demande quelquefois si je ne suis pas le seul Européen. »
[...]
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La France revient en tant qu’amie, respectueuse de l’indépendance des nations.
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Alain Peyrefitte : – « Vous avez parlé de la Chine avec Lester Pearson [premier ministre du Canada, que vient de recevoir le général De Gaulle] ?
Charles-de-Gaulle : – Oui. Il a souhaité que l’Europe, en particulier la France, réapparaisse en Asie. Ça, c’était la politesse. Il a ajouté aussitôt qu’il « fallait prendre des précautions à Washington ». Lui aussi, c’est un larbin.
[...]
Le rétablissement des relations avec la Chine, ça veut dire que nous allons tourner la page coloniale, celle de nos Concessions en Chine, celle de l’Indochine française. Ça veut dire que la France revient en tant qu’amie, respectueuse de l’indépendance des nations. »
Alain Peyrefitte : – nos moyens sont limités et ceux de la Chine sont faibles ? »
Charles-de-Gaulle : – détrompez-vous. Les moyens de la Chine sont virtuellement immenses. Il n’est pas exclu qu’elle redevienne au siècle prochain ce qu’elle fut pendant tant de siècles, la plus grande puissance de l’univers. Et des moyens de la France sont eux aussi immenses, parce qu’ils sont moraux. Parce que nous serons les premiers à le faire, nous serons comme un homme qui fait basculer un énorme rocher avec un simple levier parce qu’il assume placer au point d’équilibre. »
[source : C’était De Gaulle, Alain Peyrefitte, Fayard 1997, Tome 2, pages 491 – 493 ]
Quelques semaines après la reconnaissance officielle du 27 janvier 1964, Charles de Gaulle - ici au centre - recevait à l'Élysée les lettres de créance du premier ambassadeur de la République populaire de Chine (à gauche), en présence de Maurice Couve de Murville, ministre des affaires étrangères ( à droite)
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CONCLUSION : RENOUER AVEC LA DIPLOMATIE ÉCLATANTE DE CHARLES DE GAULLE
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En ce 27 janvier 2014, un demi-siècle a passé et tout un chacun peut, - hélas ! - constater à quel point le formidable héritage légué par Charles de Gaulle a été dilapidé et trahi au fil du temps par tous ses successeurs. Après la présidence de Nicolas Sarkozy et sous l'actuelle présidence de François Hollande, la France est redevenue le "valet" des Américains, qu'elle avait été sous la IVe République, avec un degré d'asservissement bien plus tragique encore.
De nos jours, tout Français patriote et responsable, épris de paix et de justice dans le monde, et cherchant à assurer l'indépendance et le rayonnement de la France, ne peut souhaiter qu'une chose, du plus profond de son cœur : renouer avec la diplomatie éclatante de la France gaullienne et faire en sorte que la France, dégagée de l'OTAN et de l'UE, « revienne vers tous les pays du monde, en tant qu’amie, respectueuse de l’indépendance des nations » comme l'avait indiqué, de façon si clairvoyante, l'Homme du 18 juin.
Tout lecteur de bonne foi ne pourra que constater qu'il n'existe qu'un seul mouvement politique qui propose, de façon claire, cohérente, constante conséquente, une telle renaissance de la diplomatie et du rayonnement mondial de la France, enfin dégagée de l'UE et de l'OTAN.
Ce mouvement politique, je suis fier de dire que c'est le nôtre.
François ASSELINEAU
27 janvier 2014
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